About the Author(s)


Edoé D. Agbodjan symbol
CLEAR Francophone Africa, CESAG Business School, Centre Africain d’Etudes Supérieures en Gestion (CESAG), Dakar, Sénégal

Miché Ouédraogo Email symbol
CLEAR Francophone Africa, CESAG Business School, Centre Africain d’Etudes Supérieures en Gestion (CESAG), Dakar, Sénégal

Chaire en Leadership dans le Secteur Public, Ecole Nationale d’Administration Publique (ENAP), Québec, Canada

Moussa Thiaw symbol
CLEAR Francophone Africa, CESAG Business School, Centre Africain d’Etudes Supérieures en Gestion (CESAG), Dakar, Sénégal

Faculté des Sciences économiques et Gestion, Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), Dakar, Sénégal

Pascal K. Kablan symbol
École de Développement International et Mondialisation, Université d’Ottawa, Ottawa, Canada

Citation


Agbodjan, E.D., Ouédraogo, M., Thiaw, M. & Kablan, P.K., 2023, ‘Etat des systèmes de suivi et d’évaluation en Afrique francophone : une approximation au moyen d’un diagnostic rapide’, African Evaluation Journal 11(1), a654. https://doi.org/10.4102/aej.v11i1.654

Original Research

Etat des systèmes de suivi et d’évaluation en Afrique francophone : une approximation au moyen d’un diagnostic rapide

Edoé D. Agbodjan, Miché Ouédraogo, Moussa Thiaw, Pascal K. Kablan

Received: 03 July 2022; Accepted: 24 Mar. 2023; Published: 14 Aug. 2023

Copyright: © 2023. The Author(s). Licensee: AOSIS.
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License, which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.

Abstract

The state of monitoring and evaluation systems in Francophone Africa: An approximation through rapid diagnosis

Background: Francophone African countries are facing strong internal and external pressures to promote monitoring and evaluation systems (M&E). Unfortunately, the state of development of M&E functions in these countries are poorly known.

Objectives: This study aims to assess the status of selected components of M&E systems in Francophone Africa from an action-research perspective.

Method: This study uses two different methods: a literature review and an online survey of key informants in 23 Francophone African countries.

Results: The results highlight the current context of monitoring and evaluation frameworks, including the regulatory frameworks, policies and guides on M&E as well as the formal structures responsible for M&E in surveyed countries. Furthermore, results indicate a weakness in M&E capacity building frameworks.

Conclusion: Poor knowledge of the state of M&E in Francophone African countries is an impediment to the process of institutionalising M&E and evidence-based decision making.

Contribution: By highlighting the state of M&E institutionalisation, the results of this research will provide guidance to the various stakeholders on the measures to be put in place to effectively support Francophone African countries in their process of institutionalising M&E of public policies.

Keywords: monitoring; evaluation; Francophone Africa; monitoring and evaluation system; institutionalisation.

Introduction

Les effets cumulés de la crise de la COVID-19 (maladie du coronavirus 2019), les menaces sécuritaires et la guerre russo-ukrainienne exacerbent le caractère incertain du contexte dans lequel les décisions politiques et managériales sont prises en Afrique. Face à ces incertitudes, l’accent est de plus en plus mis sur la nécessité d’utiliser les données probantes dans la prise de décision, en vue de faire les meilleurs choix, limiter les erreurs et accroître les chances d’obtenir les résultats de développement. Ces crises émergent au moment où les pays ont amorcé la dernière décennie des ODD, avec la nécessité de disposer de preuves sur les résultats obtenus et de réajuster les priorités et moyens de mise en œuvre.

Dans ce contexte, les fonctions de suivi et d’évaluation sont perçues comme un corpus d’outils de gestion essentiels (Hardlife & Zhou 2013; Kusek & Rist 2004). En d’autres termes, elles occupent une place centrale dans le paradigme du développement, sous le prétexte qu’elles permettent de fournir des preuves de la performance des interventions (Hardlife & Zhou 2013; Johnson et al. 2009; Warinda 2019) sous l’effet conjugué des pressions internes (Kusek & Rist 2004; Warinda 2019), et externes (Kusek, Rist & White 2005; Porter & Goldman 2013).

Bien que ces besoins de données soient largement évoqués dans le champ lexical du développement, ils ne se matérialisent pas nécessairement en des demandes explicites de données probantes de la part des décideurs et acteurs de mise en œuvre des interventions. De la même manière, dans les cas où ces demandes sont formulées, les capacités à les produire restent insuffisantes (Bhattacherjee 2011; Goldman & Pabari 2021; Warinda 2019). C’est ainsi que, du point de vue de l’offre aussi bien que de la demande, se manifeste un réel besoin de renforcer les capacités des systèmes, des organisations et des individus pour les rendre capables de commanditer, de mettre en œuvre et d’utiliser les évaluations. Si la demande est forte et maintenue, l’offre va s’améliorer, en partie parce que cela va réveiller les capacités latentes (ou dormantes). Le renforcement des systèmes de suivi et d’évaluation (S&E) dans les pays est, de ce point de vue, une nécessité de premier plan pour produire les données probantes de qualité et faciliter leur utilisation dans la prise de décision face aux défis actuels. C’est dans cette dynamique que l’on peut situer les efforts en cours, pour développer les capacités, par des initiatives locales et internationales (CLEAR Centers, Global Evaluation Initiative, IPDET, VOPE, RFE, AfrEA, PIFED, etc.).

En revanche, lorsque l’on cherche à déployer ces initiatives de renforcement des capacités, les acteurs sont souvent confrontés à la question essentielle de savoir où en sont le suivi et l’évaluation dans un pays donné. Ce besoin d’information sur l’état des fonctions de suivi et d’évaluation dans les pays est aussi ressenti à des fins de benchmarking, d’apprentissage par les pairs ou tout simplement par simple curiosité. Le diagnostic qui permet de révéler cet état est largement considéré comme un préalable aux actions de renforcement des capacités proprement dites. Un nombre croissant d’outils est en train d’être développé pour faire cet état. C’est le cas des outils développés par les Centres CLEAR ou d’autres acteurs tel que Monitoring and Evaluation Systems Analysis (MESA), l’Indice de Capacité Nationale en Évaluation (INCE) et le Country-level Assessment Tool (CAT). On peut également citer les méthodologies utilisées par l’UNICEF et le PNUD dans le cadre de diagnostics des capacités nationales des pays (PNUD 2021).

L’utilisation progressive de ces outils permet d’avoir des informations croissantes sur la situation de certains pays. Mais le manque de connaissance reste encore très important. De surcroit, on peine encore à avoir une vue d’ensemble de l’état général des fonctions de suivi et d’évaluation dans de grands ensembles géographiques caractérisés par des attributs linguistiques ou politico-administratifs communs.

Répondre à la question de savoir quel est l’état des lieux du suivi et de l’évaluation en Afrique francophone est de ce point de vue un enjeu fondamental de recherche-action ; une investigation dont les résultats peuvent être utiles à la définition des stratégies de renforcement des capacités pour le développement de cultures évaluatives.

En effet, il est généralement admis que les systèmes de suivi et d’évaluation sont moins développés dans les pays francophones que dans les pays anglophones. Mais dans les faits, les travaux portant sur l’état des systèmes de S&E en Afrique (Basheka & Byamugisha 2015; Fraser & Morkel 2020; Porter & Goldman 2013) ont très peu analysé le contexte particulier de l’espace francophone (Goldman & Pabari 2021). Par exemple, Basheka et Byamugisha (2015) ont examiné l’évolution du S&E en Afrique d’une manière générale, tout en mettant en exergue les dynamiques locales et internationales qui y ont contribué, sans mettre en exergue la dynamique spécifique de l’Afrique francophone. De la même manière, l’étude conduite par Fraser et Morkel (2020) a le mérite d’avoir discuté de l’état du S&E en Afrique anglophone. Mais là aussi, le contexte francophone a été éludé. La faible publication de travaux sur l’état du S&E en Afrique francophone offre une perception très peu informée du retard des pays francophones par rapport aux pays anglophones.

La contribution du présent article est d’apporter des éclaircissements sur l’état des systèmes de suivi et d’évaluation, en se focalisant sur certaines des composantes clés. Il ne s’agit donc pas d’une analyse exhaustive des systèmes, ni de leur fonctionnement, ni des résultats qu’ils produisent. Il s’agit plutôt de confirmer/infirmer l’existence de certaines composantes clés de ces systèmes que nous considérons comme des prérequis à un système fonctionnel et efficace. L’analyse est effectuée à partir de données d’enquêtes conduites par les auteurs en 2021, suivant une démarche de diagnostic rapide de sorte à informer sur la prise de mesures de renforcement des capacités par les décideurs publics. La démarche est à ce titre descriptive et non comparative, bien qu’elle permette de mettre en exergue des points communs et les divergences entre pays.

L’article est organisé comme suit : une première section présente une revue de littérature sur les composantes du système de S&E au niveau des pays afin de procéder à la sélection des éléments qui seront considérés dans le cas de cette étude. La deuxième section présente la méthodologie de l’étude. Enfin, la troisième section illustre les résultats issus de la collecte des données et une dernière section est consacrée à la discussion.

Composantes d’un système de suivi et d’évaluation

En nous référant au cadre d’analyse proposé par Lahey (2010), l’état des systèmes de S&E peut être apprécié à travers deux facteurs essentiels : (1) la volonté politique en faveur du changement dans un pays ; et (2) le niveau de développement de l’infrastructure du S&E. Ces fondements sont soutenus par: (1) la vision du leadership dans le pays; (2) le caractère propice de l’environnement pour l’exercice des fonctions de S&E; (3) la capacité à fournir l’information du S&E ou la capacité technique de mesurer la performance et de fournir des informations crédibles en temps opportun; (4) la capacité des acteurs au sein du système de requérir et d’utiliser l’information du S&E. Globalement, les acteurs du système de suivi et d’évaluation comprennent les institutions gouvernementales, les ministères, les citoyens, les médias et autres parties prenantes, telles que la société civile, les bailleurs de fonds, les parlementaires ou d’autres élus. Dès lors, la construction de systèmes de S&E est tributaire du contexte particulier de chaque pays (UNEG 2012) et de la dynamique entre ces acteurs. L’existence ou la qualité d’un cadre de concertation qui intègre les principaux utilisateurs susmentionnés peut être alors un signal de l’état du système. Par ailleurs, la notion de système de S&E implique l’existence au sein du gouvernement d’une capacité à fournir et utiliser des informations sur la performance, y compris des mesures incitatives efficaces (récompenses ou sanctions) (UNEG 2012).

La dynamique de construction qui produit les éléments du système est généralement déclenchée et entretenue par des facteurs internes et externes (Fyalkowski & Aubin 2013). En ce qui concerne les facteurs externes, on peut citer la pression exercée par les partenaires techniques et financiers, tels que l’Union européenne, l’OCDE ou la Banque mondiale (Maraitre 2007 ; Furubo, Rist & Sandahl 2002), les engagements pris dans le cadre des ODD ou des conventions internationales. Par ailleurs, les facteurs internes sont caractérisés par la nécessité de mettre en œuvre des réformes administratives inspirées de la nouvelle gestion publique (Pollitt, Van Thiel & Homburg 2007; Wollmann 2003), l’existence d’une crise de légitimité de l’action publique (Berthet 2008; Varone & Magdalijns 2000), la volonté de procéder à une rationalisation budgétaire pour faire face aux déficits publics (Jacob 2005), le développement de l’analyse et de l’évaluation des politiques publiques dans le monde académique ou encore le besoin de répondre à la complexification de l’action publique ou au phénomène de pathologie législative (Cerexhe 2002) et la mise en œuvre des plans de développement. Il faut ajouter à ces éléments le processus de démocratisation qui favorise une meilleure liberté et capacité d’expression des parties prenantes en faveur de la redevabilité, l’émergence de la crise de COVID-19 et des menaces à la sécurité qui posent d’importants défis en matière de rationalisation des dépenses et d’efficacité de l’action publique. En Afrique francophone, plus spécifiquement, le basculement du mode de gestion des finances publiques en mode budget programme, à travers la mise en œuvre de directives régionales adoptées en 2008, dans l’espace Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) puis en 2009, dans l’espace Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), a renchéri le besoin d’information de performance sur les interventions de l’Etat. Le programme qui est devenu l’unité de vote du budget doit être accompagné d’un projet de performance, sur la base duquel des comptes doivent être rendus aux représentants du peuple. Par ailleurs, l’institutionnalisation du débat d’orientation budgétaire et l’évolution du processus de budgétisation vers des budgets citoyens ouvrent le champ à des concertations élargies sur les choix qui sont faits et les résultats escomptés ou obtenus.

Nous retenons de ces définitions que pour cerner l’état du système de S&E dans un pays, il convient de connaître le degré d’institutionnalisation de sa pratique, le niveau de sa professionnalisation à travers la disponibilité de mécanismes de renforcement des compétences et l’engagement des acteurs non étatiques à faire la promotion du S&E en tant qu’outil de redevabilité et d’apprentissage.

Degré d’institutionnalisation des fonctions de S&E

L’institutionnalisation correspond au processus de constitution et de transformation d’organisations, de structures, de règles formelles et informelles qui fournissent aux acteurs des cadres d’action relativement stables, tout en assurant une certaine prévisibilité de leurs comportements réciproques Jacob (2005). Pour ce qui concerne le S&E, Varone et Jacob (2004) définissent l’institutionnalisation de l’évaluation comme étant une ‘routinisation’ du recours à l’évaluation, et peut être mesurée à l’aune de sa pratique effective au sein des instances politico-administratives et, plus largement, des réseaux d’action publique. Elle se réfère également au dispositif organisationnel qui encadre les pratiques évaluatives. Un cadre institutionnel national conçu pour la gestion de la fonction d’évaluation et la réalisation des évaluations sont indispensables pour garantir un processus d’évaluation efficace. Boyle et Lemaire (1999) voient:

[L]’institutionnalisation du suivi et de l’évaluation comme l’établissement de règles, de procédures et d’arrangements organisationnels par lesquels le S&E des politiques publiques est produit au sein d’un gouvernement spécifique et fait officiellement partie du processus décisionnel du gouvernement.

In fine, l’institutionnalisation du S&E renferme une volonté délibérée d’établir des règles et procédures, mais aussi l’utilisation continuelle des données issues des évaluations pour la prise de décision. Dans la pratique, le processus d’institutionnalisation est mis en œuvre par l’établissement d’articles constitutionnels, de textes, décrets, arrêtés, ou lois instituant l’évaluation. Ceux-ci peuvent s’adosser à une politique, stratégie, ou au cadre référentiel national. Cependant, leur mise en place est en général précédée par une étude diagnostique de l’état du S&E à l’échelle nationale.

Selon l’OCDE, il est généralement reconnu qu’un certain degré d’institutionnalisation doit être atteint pour que l’évaluation puisse pleinement jouer son rôle dans la gestion publique (OCDE 1997). Ce qui implique l’existence d’évaluateurs qualifiés au sein de l’administration, des universités ou des cabinets de consultance au niveau national (Varone & Jacob 2004), qui, au demeurant, renforce l’acceptabilité de la culture évaluative (Mader 1985). L’institutionnalisation de l’évaluation tend donc à éviter que des évaluations ne soient conduites que sporadiquement, ce qui empêcherait l’amorce de réels processus d’apprentissage au sein des ministères et la mise en œuvre efficace des activités d’évaluation. De la sorte, l’institutionnalisation lui confère un statut de processus social, mobilisant différents partenaires (Perret 1998). Dans cette perspective, l’ancrage du processus d’institutionnalisation exige, dans une certaine mesure, l’existence d’institutions gouvernementales dédiées à la pratique du suivi et de l’évaluation.

En filigrane, la construction d’un système de S&E doit nécessairement poursuivre l’instauration d’une véritable culture de S&E afin d’en assurer la soutenabilité. Il est en général convenu que cette culture évaluative est prégnante lorsqu’elle est soutenue par les organisations et les individus qui y travaillent. Selon Mayne (2010), la culture évaluative renvoie à une routine organisationnelle caractérisée par une quête délibérée de données et d’informations empiriques sur sa performance et ses résultats, et utilise les conclusions découlant de ces données probantes afin d’améliorer sa performance et la réalisation des résultats. Plusieurs caractéristiques organisationnelles témoignent d’une solide culture d’évaluation. Il s’agit de l’engagement relatif à l’autoréflexion et à l’auto-examen, à la recherche délibérée des données probantes, à l’utilisation des informations liées aux résultats pour remettre en question et soutenir ses actions, à la valorisation de la franchise et le dialogue véritable, à l’engagement dans l’apprentissage axé sur des données probantes et enfin au fait d’encourager l’expérimentation et le changement. La pérennité de ces pratiques est un enjeu clé de l’institutionnalisation de l’évaluation (Mayne 2010; Stewart 2014).

Niveau d’engagement des acteurs non étatiques

Dans une large mesure, l’instauration de la culture évaluative au sein d’un pays passe par l’engagement des acteurs non-étatiques dont la mission est de promouvoir l’évaluation et la redevabilité. Il s’agit ici du niveau auquel l’évaluation est vue et utilisée comme un enjeu démocratique, contribuant à l’exercice soit des principes de la séparation ou de l’équilibre des pouvoirs. Cette posture de l’évaluation est au cœur des réformes en cours dans l’espace francophone et se matérialise par l’attribution de prérogatives évaluatives aux pouvoirs législatifs dans un certain nombre de pays. Il s’agit de faire de l’évaluation un outil de redevabilité des gouvernements qui engagent des deniers publics. Mais au-delà du rôle que peuvent jouer les parlements, la capacité de la société civile à se définir et à s’approprier des agendas d’évaluation est un ingrédient essentiel du fonctionnement d’un système national.

Toutefois, plusieurs conditions doivent être remplies pour que ces organisations puissent exister et jouer pleinement leur rôle. Selon Rosenstein (2013), il s’agit entre autres de l’intérêt au sein de la communauté à la question évaluative, du soutien d’autres organisations régionales ou du gouvernement, de la disponibilité des moyens financiers. Une fois ces conditions réunies, ces organisations, communément appelées VOPE1 ou ANE,2 peuvent se mettre en place dans une configuration informelle. Lorsque cela devient nécessaire, elles s’engagent ensuite dans un processus de formalisation.

Les VOPE poursuivent plusieurs objectifs. Elles s’engagent à améliorer la pratique de l’évaluation, augmenter l’utilisation de l’évaluation, en faire la promotion en tant que profession, soutenir sa contribution à l’émergence de théories et de connaissances sur les actions humaines efficaces, construire une communauté professionnelle, améliorer la compétence professionnelle, accroître l’appréciation de la profession d’évaluateur, etc. (Association Américaine d’Évaluation 2006).

Leur dynamisme et leur pouvoir d’influence varient d’un pays à un autre et constituent un indicateur du mode de fonctionnement du système national.

Dispositifs professionnalisant de l’évaluation

Un des pans importants d’un système national de suivi et évaluation est la qualité et la quantité des personnes qui l’animent, en exerçant un leadership technique et politique. La professionnalisation est un processus qui permet de créer cette masse critique de personnes investies de la fonction évaluation dans les conditions définies par les cadres institutionnels et réglementaires. Picciotto (2011), plusieurs raisons militent pour la professionnalisation de la pratique de l’évaluation. Tout d’abord la professionnalisation permet de produire de meilleures connaissances et de meilleures compétences pour répondre aux besoins des commissaires et de contribuer aux impératifs de développement nationaux, régionaux et internationaux. Ensuite une pratique d’évaluation professionnelle donnerait aux gestionnaires d’évaluation une meilleure intelligibilité des normes et des standards de qualité. Enfin, au niveau des systèmes, la professionnalisation permet de susciter un plus grand intérêt pour les évaluations de haute qualité effectuées pour répondre aux questions clés relatives à la pratique et aux politiques.

Afin de professionnaliser le champ de la pratique de l’évaluation, il importe de disposer de programmes de formations adéquates, de faciliter l’accès à l’éducation, de mettre en place des référentiels de compétences encadrant la pratique de l’évaluation. L’accès à l’éducation et à la formation comprend l’instruction académique, le perfectionnement professionnel continu par le biais d’institutions académiques, le perfectionnement par le biais des VOPE et par des organisations privées, le mentorat en cours d’emploi, la formation par le biais d’arrangements formels et informels, etc. De leur côté, les référentiels de compétences permettent de valider les compétences des évaluateurs et de légitimer leur position dans la pratique de leur métier. À travers le monde, très peu d’organisations sont arrivées au stade de développement de cadres de compétences pour les évaluateurs. Il s’agit de la Société canadienne d’évaluation, l’Association internationale d’évaluation du développement (IDEAS) et la Société japonaise d’évaluation, et conjointement par la Société européenne d’évaluation (EES) et la Société d’évaluation du Royaume-Uni (UKES). Sur le continent africain, le gouvernement sud-africain a développé des compétences en consultation avec la South African Monitoring and Evaluation Association (SAMEA).

De l’analyse de la littérature en évaluation, il ressort que pour mieux cerner l’état du S&E dans un pays, il convient de connaitre le degré d’institutionnalisation de sa pratique, de la tendance vers la professionnalisation de sa pratique à travers la disponibilité de mécanismes de renforcement des compétences et surtout de connaitre l’engagement des acteurs non étatique dans la promotion du S&E (Voir FIGURE 1).

FIGURE 1: Cadre analytique de l’état des composantes des systèmes nationaux d’évaluation en Afrique francophone.

Comme l’ont constaté Goldman et al. (2018), il est difficile de trouver dans la littérature existante des cadres utiles qui tiennent compte des tendances émergentes en matière d’évaluation dans un contexte africain. Ainsi, le cadre analytique utilisé par Goldman et al. (2018) comporte six caractéristiques d’un système national d’évaluation efficace (Genesis 2016) notamment une politique, une méthodologie, une organisation, une capacité, une participation d’acteurs non-étatiques et une qualité du produit et du processus.

Méthodologie

Procédures

Cette étude a pour objectif de faire un état de lieux des composantes des systèmes nationaux de suivi et d’évaluation dans les pays francophones d’Afrique. Pour cela, une analyse documentaire sur le suivi et l’évaluation dans les pays francophones d’Afrique a été réalisée. La recherche documentaire a consisté en la collecte de 48 documents portant sur les lois, les politiques, la réglementation du suivi et de l’évaluation dans les pays, y compris les stratégies nationales d’évaluation, les politiques nationales d’évaluation, les guide nationales de S&E, les documents de diagnostics des capacités nationales en évaluation, etc. Cette collecte s’est faite par une recherche sur internet et auprès des personnes-ressources dans les pays concernés. À la suite de cette analyse, un sondage en ligne a été organisé auprès de personnes-ressources identifiées dans chaque pays.

Participants

Le sondage en ligne a été adressé aux personnes-ressources désignées dans les différents pays et aptes à renseigner les informations sur l’état du développement suivi et de l’évaluation. Il s’agit d’un choix raisonné lié à leur connaissance du S&E dans leur pays et du rôle qu’il y joue. Sur les vingt-trois (23) pays francophones d’Afrique initialement visés par cette étude, les données ont été obtenues pour 20 pays. Il s’agit de l’Algérie, le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, le Cameroun, les Comores, la Côte d’Ivoire, Djibouti, le Gabon, la Guinée (Conakry), Madagascar, le Mali, le Maroc, le Niger, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, le Sénégal, le Tchad, le Togo et la Tunisie. Les trois pays auprès desquels nous n’avons pas eu de réponses sont la Guinée équatoriale, la Mauritanie et la République du Congo. Les répondants au sondage, pour les pays participants, sont sept (07) responsables en charge du S&E au niveau du gouvernement et de treize (13) responsables de VOPE. Parmi ces 20 répondants, 2 sont des femmes et 18 des hommes.

Questionnaires

Le questionnaire adressé aux personnes-ressources porte essentiellement sur trois (03) dimensions qui permettent d’avoir un état des lieux du développement du suivi et de l’évaluation dans les pays concernés. Il s’agit du niveau d’institutionnalisation du suivi et de l’évaluation, de l’existence de dispositifs professionnalisants et enfin de l’existence des cadres de promotion du suivi et de l’évaluation par les acteurs non étatiques.

La première dimension sur le niveau d’institutionnalisation est mesurée par quatre variables. La première variable identifie l’existence dans le pays d’une politique nationale de suivi et d’évaluation. La seconde variable analyse l’existence au niveau national d’un cadre officiel pour le suivi et l’évaluation, en l’occurrence de documents d’orientations, de lois ou de décrets. La troisième variable enquête sur l’existence d’institutions gouvernementales dédiées à la pratique du suivi et de l’évaluation. La dernière variable de cette dimension examine l’existence d’une étude diagnostique des capacités en matière de suivi et de l’évaluation. Compte tenu de la nature de notre étude utilisant une approche de diagnostic rapide, d’autres composantes opérationnelles non moins importantes d’un système national d’évaluation qui auraient pu être prises en compte ici n’ont pas été considérées. Il s’agit par exemple de l’existence de budget dédié à l’évaluation, de plans nationaux de suivi et d’évaluation, de base de données des évaluations, de système numérisé de suivi et de rapportage. Ces variables ont été exclues de l’analyse.

La deuxième dimension sur l’existence des cadres de formation et de renforcement des capacités en suivi et évaluation est mesurée par une seule variable qui analyse l’existence de formations universitaires diplômantes sur le suivi et l’évaluation au niveau national.

Enfin la dernière dimension sur l’existence des cadres de promotion du suivi et de l’évaluation et de leur pratique au niveau national est mesurée par une seule variable qui analyse le dynamisme de VOPE.

Analyse des données

Les données récoltées du sondage ont été analysées en se basant sur la statistique descriptive. À cet effet, le logiciel IBM SPSS Statistics a été utilisé. L’analyse a consisté à la réalisation des tableaux de fréquence simple et la représentation graphique des données. Les documents collectés ont été analysés selon une grille élaborée et portant sur les trois dimensions. Un croisement entre les résultats des analyses documentaires et les données du sondage a été fait lors de l’analyse. Pour les résultats où il y’avait des nuances, des discussions de relance avec les participants ont permis de faire des clarifications.

Limites méthodologiques

Cette recherche combine la recherche documentaire à un sondage en ligne utilisant un questionnaire dans laquelle plusieurs variables sont renseignées. Si les données quantitatives permettent de dresser un portrait sur l’état du S&E, elles ne permettent pas par contre d’appréhender les dynamiques sous-jacentes et les facteurs contextuels. Ce portrait pourrait d’ailleurs inspirer d’autres recherches futures afin d’analyser en profondeur et de comprendre les différents parcours qui sont à la base de l’émergence des systèmes actuels.

Résultats

Cette recherche a pour objectif de faire un état des lieux de la situation du S&E dans les pays francophones d’Afrique. De manière spécifique, il s’agira d’analyser le niveau de l’institutionnalisation du S&E dans ces pays, de la disponibilité des mécanismes de renforcement des capacités et de l’engagement de la société civile dans la promotion du S&E (Voir la synthèse des résultats dans le TABLEAU 1).

TABLEAU 1: Synthèse des résultats.
Etat de l’institutionnalisation du suivi et de l’évaluation du suivi de l’évaluation
Politique nationale d’évaluation

La recension des écrits montre clairement la nécessité de l’institutionnalisation du S&E pour leur meilleure prise en compte dans le système intégré des politiques publiques. L’institutionnalisation de la pratique du S&E dans les pays francophones d’Afrique est non seulement récente, mais demeure très faible. Selon les résultats de notre étude, sur l’ensemble des 23 pays de notre échantillon dont 20 ont répondu, seulement quatre pays soit 20 % disposent d’une politique nationale d’évaluation. Il s’agit du Bénin, du Niger, du Togo, qui ont adopté leurs politiques nationales d’évaluation respectivement en 2012, en 2018 (le Niger et le Togo ont adopté leurs politiques d’évaluation en 2018), et de Madagascar dont la politique est en cours de validation (Voir FIGURE 2).

FIGURE 2: Pays ayant une politique nationale d’évaluation en Afrique francophone.

Diagnostic des capacités de suivi et d’évaluation

Le diagnostic des capacités en suivi et évaluation constitue une étape préalable qui aboutit à l’élaboration et à l’adoption d’une politique nationale de S&E. En effet, onze (11) pays sur 20 pays répondants (soit 55%) disposent déjà d’une étude diagnostique des capacités de suivi et d’évaluation. Parmi les 16 pays de notre étude qui ne disposent pas encore de politique nationale de S&E, huit (08) ont déjà mis en œuvre une étude diagnostique de leurs capacités en matière de S&E. Il s’agit du Burkina Faso qui a réalisé son étude en 2017 avec l’accompagnement de l’UNICEF, de Djibouti qui a réalisé une étude sous la direction de l’Association djiboutienne d’évaluation en 2017, du Gabon qui a également réalisé une étude sur l’état des lieux de l’évaluation des politiques publiques en 2018 et de la Guinée qui a réalisé son étude avec l’appui de l’UNICEF en 2020. On y retrouve également le Sénégal qui a réalisé une étude sur les capacités évaluatives en 2007, la Tunisie qui en a également réalisée une avec l’appui du Réseau tunisien de l’évaluation en 2016, du Tchad qui a réalisé une étude sur l’état de lieux de l’évaluation en 2018 avec le soutien de l’UNICEF et enfin du Cameroun.

Cependant, 9 pays soit 45% des pays concernés par l’étude n’ont pas effectué d’étude diagnostique des capacités évaluatives.

Cadre national guidant la pratique du S&E

En plus de l’institutionnalisation de la pratique du S&E dans les pays francophones d’Afrique à travers une politique nationale de S&E adoptée et mise en œuvre, neuf (09) pays soit 45% disposent de documents-cadres nationaux guidant la pratique du S&E. Il s’agit du Bénin, du Burkina Faso, du Cameroun, des Comores, de la Côte d’Ivoire, du Maroc, du Niger, du Sénégal et du Togo. Ces documents sont entre autres des lois, des décrets, des guides, des manuels, etc. adoptés et validés au niveau national par le gouvernement qui reconnaissent non seulement la pertinence du S&E, mais qui développent des normes de pratique et de mise en œuvre. Parmi ces documents nous identifions, par exemple, la loi sur le pilotage et la gestion du développement qui oriente la pratique du S&E au Burkina Faso, le décret portant création, attributions, organisation et fonctionnement du cadre institutionnel de suivi de la mise en œuvre du Plan National de Développement de la Côte d’Ivoire, le cadre harmonisé de suivi-évaluation des politiques publiques (CASE) du Sénégal, etc.

Une moitié des pays d’Afrique francophones répondants (soit 50%) ne dispose pas de documents-cadres nationaux guidant la pratique du suivi et de l’évaluation.

Structures formelles chargées du suivi et de l’évaluation

Malgré l’absence de politiques formelles encadrant le S&E dans la majeure partie des pays francophones d’Afrique, notre étude montre que 15 pays (soit 75% des pays répondants) disposent de structures formelles au niveau gouvernemental chargé de la fonction du suivi et de l’évaluation des politiques gouvernementales. Pour les 4 pays disposant d’une politique nationale d’évaluation, des structures gouvernementales formelles sont mises en place et dédiées spécifiquement au S&E. C’est le cas, par exemple, du Bénin avec le Bureau d’évaluation des politiques publiques rattaché directement à la présidence béninoise et qui assure le secrétariat exécutif du Conseil national de l’évaluation (CNE). Au niveau du Niger, nous avons la Cellule d’analyse des politiques publiques et d’évaluation de l’action gouvernementale (CAPEG) qui est rattachée au premier ministère. Au niveau du Togo, nous avons la Cellule nationale de l’évaluation. Au niveau de Madagascar l’évaluation des politiques publiques est assurée par le Conseil national d’évaluation (CNE) directement rattaché à la présidence malgache.

Pour les 16 pays qui ne disposent pas encore de politique formelle de S&E, il convient de constater que la fonction de S&E est attribuée soit à des structures gouvernementales existantes et ayant déjà d’autres fonctions qui lui sont dévolues, soit à des directions de certains ministères ou départements ministériels. Pour la première catégorie, on peut citer le cas de l’Algérie où la fonction du S&E est attribuée au Conseil national économique et social. Nous avons également le cas du Maroc où l’évaluation des politiques publiques est du ressort du Parlement marocain soutenu par la Cour des comptes et dans une certaine mesure de l’Office national du développement humain (ONDH). Il y’a également le cas du Sénégal avec la Commission nationale d’évaluation et de suivi des politiques et programmes publics et la Tunisie avec l’Instance générale de suivi des programmes publics.

Pour la seconde catégorie, les fonctions de S&E sont du ressort des départements ministériels, nous pouvons citer des pays comme le Burkina Faso, les Comores, la Côte d’Ivoire et la République démocratique du Congo où les fonctions de S&E sont du ressort d’une direction du ministère du plan ou du ministère de l’économie. Pour le cas spécifique du Gabon nous avons la Direction générale de l’évaluation des politiques publiques rattachée au ministère de la Promotion de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption. Au niveau de Djibouti, nous avons l’Unité de Suivi de l’Exécution des Politiques Publiques Prioritaire (USEPPP) rattaché à la primature.

Cadre de formation et de renforcement des capacités en suivi et évaluation au niveau national

Disposer d’évaluateurs de qualité, diplômés des universités et des instituts de formations reconnus est l’un des grands défis des pays francophones d’Afrique. En effet, sur les 23 pays concernés par cette étude, dont 20 répondants, seulement huit (08), soit un taux de 40%, disposent d’institutions dispensant des formations diplômantes, essentiellement des Masters en S&E. Parmi ces pays, le Sénégal vient en première position avec quatre (04) instituts de formation qui offrent des Masters spécialisés en S&E. Il s’agit du Centre africain d’études supérieures en gestion (CESAG), de l’Université Gaston Berger, de l’Ecole supérieure de management des projets (ESMP) et de l’Institut d’études et de formation en statistique. Nous y retrouvons également le Burkina Faso avec l’Université Thomas Sankara de Ouagadougou qui offre un Master professionnel à distance en analyse et suivi-évaluation des politiques agricoles et alimentaires (MASPAA), mais aussi le Cameroun avec l’Institut panafricain pour le développement qui propose une Licence avec une spécialisation en Analyse et évaluation des projets (LAEP). Les autres pays qui disposent de formations diplômantes sont le Bénin avec l’Ecole nationale d’administration, le Gabon avec l’Université Omar Bongo et l’Institut sous-régional multisectoriel de technologie appliquée, le Mali avec l’Institut Supérieur de Santé Publique (ISSP), le Niger avec l’Institut privé de stratégie d’évaluation et de prospective et le Togo avec l’Université de Kara.

Douze des pays d’Afrique francophone de notre étude (soit 60%) ne disposent pas d’institutions dispensant des formations diplômantes en S&E (Licence, Master ou Doctorat).

Analyse des cadres de promotion de l’évaluation (Situation des VOPE)

L’existence des acteurs de la société civile, notamment les associations nationales d’évaluation communément appelée VOPE, est la chose la mieux partagée par les pays de notre étude. En effet, les résultats de notre sondage montrent que sur les 23 pays de notre étude, dont 20 répondants, seulement les Comores ne dispose pas d’une association nationale d’évaluation. Il y’a deux associations nationales en Côte d’Ivoire, au Gabon et en République démocratique du Congo.

Sous l’appellation commune de VOPE se cache une réalité institutionnelle très variée. Les formes d’organisations de ces VOPE prennent tantôt des connotations de ‘réseau’, ‘association’, ‘société’, ‘initiative’.

Si les VOPE ont connu, au cours des deux dernières décennies, un essor non négligeable en Afrique francophone, leur dynamisme n’est pas homogène d’un pays à un autre. On peut distinguer des VOPE qui, au cours des dix dernières années, ont démontré un certain dynamisme, avec le développement et la mise en œuvre de programmes de formation, de plaidoyer, de dissémination de connaissances, de programmes de développement des évaluateurs émergents et des actions de promotion de l’évaluation à travers des groupes thématiques. C’est le cas de l’Association sénégalaise de l’évaluation (SENEVAL), de l’Initiative ivoirienne de l’évaluation (2IEval), du Réseau Burkinabè de Suivi-Evaluation (ReBuSE), de la Société gabonaise de l’évaluation (SOGEVAL). La majorité des associations, en revanche, cherchent à se doter de moyens d’action efficaces, en menant des exercices de planification, des actions de mobilisation des membres et des ressources.

Discussions et conclusion

Cette étude avait pour objectif de faire un état de lieux de la situation du S&E dans les pays francophones d’Afrique. De manière spécifique, il s’agissait de présenter le niveau de l’institutionnalisation du S&E dans ces pays, de la disponibilité des mécanismes de renforcement des capacités à travers des formations académiques et de l’engagement de la société civile dans la promotion du S&E.

L’étude montre une faible institutionnalisation du S&E si l’on s’en tient au critère de l’existence d’une politique nationale d’évaluation adoptée et mise en œuvre par les parties prenantes nationales. Ce constat vient corroborer des conclusions antérieures de recherche notamment, celles qui avaient mis en lumière la faible institutionnalisation des systèmes de S&E (Bhattacherjee 2011; Coryn et al. 2011; Makadzange 2022), et leur faible déploiement afin de soutenir des politiques efficaces (Kusek & Rist 2004; Mackay 2006; Vestman & Conner 2006).

Toutefois, l’étude montre qu’au sein du grand ensemble ‘Afrique francophone’, les pays n’empruntent pas une trajectoire commune vers l’institutionnalisation du S&E. Comme l’ont souligné Varone et Jacob (2004), l’institutionnalisation de l’évaluation emprunte des cheminements divers selon les pays et, par conséquent, reflète le poids des spécificités institutionnelles et culturelles. Cette situation pouvant s’expliquer par la mesure dans laquelle le développement de l’évaluation est tributaire du type d’État dans lequel il se produit et de la nature des élites susceptibles de la porter (Duran 1993; Makadzange 2022).

Dans la logique des objectifs assignés, l’étude donne à voir des actions de renforcement de capacités indispensables pour consolider les bases de systèmes nationaux d’évaluation efficaces. Il s’agira tout d’abord d’appuyer les pays qui disposent déjà d’une politique nationale de S&E dans l’opérationnalisation totale de ces politiques à travers le déploiement de leur dispositif et leur fonctionnement pour la promotion des politiques publiques basées sur les données probantes. Dans un second temps, pour les pays disposant déjà de diagnostic de leurs capacités en S&E, il s’agira de les accompagner vers l’institutionnalisation de leur système de S&E à travers l’élaboration, l’adoption et de l’opérationnalisation de leur politique nationale de S&E. Ce processus devra se faire de manière participative et itérative, tenant compte des structures et mécanismes de S&E existants, afin de s’assurer non seulement de l’engagement des différentes parties prenantes, mais également de leur appropriation de la politique.

Pour les pays ne disposant pas encore de diagnostic de leurs capacités en S&E, il s’agira de les accompagner dans l’élaboration d’un agenda national de renforcement des capacités nationales en S&E. Cet agenda servira de base à un plan d’action pour mobiliser les partenaires techniques et financiers pour l’accompagnement de ces différents pays.

Tous ces accompagnements, qui peuvent se réaliser par les partenaires au développement (bailleurs, Systèmes des Nations Unies, etc.), devraient suivre une démarche flexible, saisissant les opportunités quand elles se présentent, car il n’y a pas une séquence fixe ni une formule unique du processus d’institutionnalisation. L’expérience montre qu’il faut saisir les opportunités quand elles se présentent en s’appuyant sur un leadership et des champions nationaux, car l’institutionnalisation étant tout d’abord un processus endogène sous tenu par les partenaires extérieurs (Boadu & Ile 2023 ; Ramasobana, Tirivanhu & Tsotsotso 2022).

Notre étude révèle un faible nombre de formations diplômantes en Afrique francophone. Différents rapports de diagnostic des capacités en S&E avaient constaté le manque de formations professionnelles en S&E dans les pays africains (Basheka & Byamugisha 2015) et plus spécifiquement dans les pays francophones (Bureau d’Evaluation des Politiques Publiques du Benin 2010; CLEAR FA 2020; Ministère de l’Economie des Finances et du Développement du Burkina Faso 2017; Réseau Sénégalais d’Evaluation 2007). Par ailleurs, ils révèlent plutôt une disponibilité et une offre plus large pour ce qui concerne les offres de formation de courtes durées sanctionnées par une simple attestation (Mbeck 2018). Ces formations continues dans le domaine du S&E sont délivrées par des institutions pionnières et les plus connues dans l’espace francophone en Afrique sont le CLEAR FA, le Programme de renforcement des capacités et d’évaluation d’impact en Afrique de l’Ouest (WACIE) et le programme de formation en suivi et évaluation de l’Institut supérieur des sciences de la population (ISSP) de l’Université de Ouagadougou. Quelques universités africaines, sur la base d’ententes, ont commencé également à offrir des formations de courtes durées en évaluation, en partenariat avec des instituts de formation comme l’Ecole nationale d’administration publique (ENAP) du Canada; ententes ayant permis la mise en place des formations délocalisées du programme de base du Programme international de formation en évaluation du développement (PIFED) de l’ENAP du Canada dans des pays tels que le Burkina Faso, le Cameroun, le Maroc, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Mali, la Mauritanie, le Niger, la République démocratique du Congo, le Sénégal et la Tunisie (Mbeck 2018).

Au-delà de ces formations de courtes durées et des formations diplômantes qui peinent à combler le besoin d’expert en S&E dans l’espace francophone identifié dans le cadre de cette étude, il convient pour les acteurs d’accompagner les institutions de formation universitaire dans le développement et la mise en place de programmes diplômants en S&E. L’objectif étant de soutenir la professionnalisation de la pratique de S&E dans les pays francophones d’Afrique. Il conviendrait pour les pays francophones d’Afrique d’engager le processus vers la professionnalisation de la pratique de l’évaluation. Pour cela, il est important que des efforts soient déployés aux niveaux national et régional afin de définir collectivement les bonnes pratiques et les normes de qualité en matière d’évaluation. En outre, les évaluateurs doivent réfléchir à leurs propres compétences et à leur expérience, ainsi qu’à l’importance du développement professionnel continu pour rester à jour dans l’application de divers modèles, approches, outils et méthodes. La professionnalisation entraînerait une plus grande responsabilisation en termes de transparence, de qualité et d’intégrité. Cela augmenterait la reconnaissance du métier d’évaluation, son attractivité pour les nouveaux entrants et des rapports de haute qualité pour les gestionnaires. Toutefois, comme le note Picciotto (2011), il importe de faire en sorte que cette professionnalisation ne soit pas une source de discrimination de certains praticiens ‘non qualifiés’, n’entraine l’abandon des conceptions méthodologiques innovantes et fasse la promotion de la conformité et l’homogénéité des approches.

Sur le plan de l’engagement de la société civile dans le processus du S&E dans les pays francophones d’Afrique, notre étude montre que c’est l’un des aspects les plus développés dans les écosystèmes nationaux. Rodriguez-Bilella (2017) et Kosheleva et Segone (2013) avaient déjà mis en lumière l’œuvre pionnière des VOPE dans la promotion du S&E avec une certaine disparité entre les pays. Une série d’enquêtes conduites par le Réseau francophone d’évaluation énonce des difficultés que rencontrent ces associations pour influencer l’institutionnalisation de l’évaluation dans leur pays (Loncle 2020). D’ailleurs Tarsilla (2012), dans son étude, avait démontré la nécessité du renforcement des capacités des VOPE dans la perspective de renforcement des capacités nationales en évaluation. D’une manière générale, la question du leadership des VOPE se pose avec une certaine acuité. La mobilité des leaders, qui pour la plupart exercent d’autres fonctions à temps plein (consultance, emplois salariés, entrepreneuriat, militantisme social), crée une instabilité au niveau de certaines associations, avec des cycles composés de moments forts et des périodes de léthargie. Un exercice d’autodiagnostic du Réseau national de l’évaluation au Burundi impulsé par CLEAR FA en 2016 dans le cadre de l’initiative de renforcement des VOPE francophones d’Afrique, avait relevé que ce réseau présentait plusieurs faiblesses dont: (1) l’insuffisance de moyens financiers et techniques; (2) l’absence de membres institutionnels, (3) une faible disponibilité de certains membres bien trop occupés par leurs activités professionnelles quotidiennes, (4) le niveau limité de l’expertise d’une partie des membres actifs, (5) une faible visibilité du réseau due à l’absence de soutien par des institutions publiques et PTF. Ces difficultés sont encore partagées par une bonne majorité des VOPE. Fort de ce qui précède, il convient donc de renforcer l’œuvre de ces VOPE à travers un appui institutionnel et le renforcement de leur capacité pour de meilleures actions et contributions.

Cette étude, au-delà du portrait des différents pays concernés dans le domaine du S&E et des domaines nécessitant des actions spécifiques, permet également de mettre en lumière les chantiers de recherches futures. Pour cela, il est nécessaire que des études qualitatives examinent en profondeur pour comprendre la dynamique du S&E dans ces pays et les facteurs déterminants.

Remerciements

Intérêts concurrents

Les auteurs ont déclaré qu’il n’existe pas d’intérêts concurrents.

Contributions des auteurs

E.D.A. et M.O. ont apporté la même contribution à l’article. Ils ont fait la conceptualisation, la méthodologie, l’analyse des des données et la rédaction de l’article. M.T. a participé à la méthodologie, la collection des données, l’analyse et la rédaction. P.K.K. a contribué à l’évaluation et la relecture.

Considérations éthiques

Cet article a suivi toutes les normes éthiques de la recherche sans contact direct avec les sujets humains ou animaux.

Information sur le financement

Les auteurs souhaitent remercier le CLEAR Afrique francophone dont le soutien financier a permis la publication de cet article.

Disponibilité des données

Les données obtenues pour cet article sont disponibles.

Avis de non responsabilité

Les points de vues et opinions exprimés dans cet article sont ceux des auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique ou position officielle d’une organisation des auteurs.

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Notes de bas de page

1. VOPE signifie ‘organisation bénévole pour l’évaluation professionnelle’.

2. Association nationale d’évaluation.


 

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Mark A. Abrahams
African Evaluation Journal  vol: 11  issue: 1  year: 2023  
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